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Un blog pour éviter d'oublier le texte.
Des réflexions désordonnées, isolées, intempestives.
À chaque fois, une incursion hasardeuse pour ouvrir le livre autrement.

vendredi 25 février 2011

Ερος et Παθοσ chez Tristan et Iseut

La reconstruction du roman de Tristan et Iseut par Joseph Bédier a cette particularité de bien faire ressortir les aléas de cet amour maladif dont les amants sont victimes depuis l'absorption du célèbre philtre.
Ce philtre qui (on pourrait en parler) est à mon sens une stratégie scénographique pour introduire l'irrémédiable passion qui, bien après ses premiers effets et même avant son absorption, s'empare des amants et les dévoile chacun comme corps désirant :

« Sous les arbres, sans une parole, il la pressa contre sa poitrine ; leurs bras se nouèrent fermement autour de leurs corps, et jusqu’à l’aube, comme cousus par des lacs, ils ne se déprirent pas de l’étreinte. Malgré le roi et les guetteurs, les amants mènent leur joie et leurs amours.

Cette nuitée affola les amants ; et les jours qui suivirent, comme le roi avait quitté Tintagel pour tenir ses plaids à Saint-Lubin, Tristan, revenu chez Orri, osa chaque matin, au clair de lune, se glisser par le verger jusqu’aux chambres des femmes. »

Cela se passait après la trève conclue entre le roi Marc et le héros, lors de la tentative de celui-ci de revoir l'amante.

Les amants sont affolés par leur désir. On verra que le pathos et l'eros s'étaient déjà liés en eux.

Avant le philtre, déjà les corps parlaient. Ainsi lors du bain donné à Tristan par Iseut pour soigner la blessure qu'aura causée son combat contre le dragon :

« Au jour suivant, Iseut la Blonde lui prépara un bain et doucement oignit son corps d’un baume que sa mère avait composé. Elle arrêta ses regards sur le visage du blessé, vit qu’il était beau, et se prit à penser : " Certes, si sa prouesse vaut sa beauté, mon champion fournira une rude bataille ! " Mais Tristan, ranimé par la chaleur de l’eau et la force des aromates, la regardait, et, songeant qu’il avait conquis la Reine aux cheveux d’or, se mit à sourire. »

Les suites de l'absorption du vin herbé sont comme une histoire prévisible. Le pathos envahit Tristan :

« Il semblait à Tristan qu’une ronce vivace, aux épines aiguës, aux fleurs odorantes, poussait ses racines dans le sang de son cœur et par de forts liens enlaçait au beau corps d’Iseut son corps et toute sa pensée, et tout son désir »

Et Iseut se voit confirmé ce qu'elle savait déjà :

« Entrez, seigneur.
— Reine ; dit Tristan, pourquoi m’avoir appelé seigneur ? Ne suis-je pas votre homme lige, au contraire, et votre vassal, pour vous révérer, vous servir et vous aimer comme ma reine et ma dame ? »
Iseut répondit :
« Non, tu le sais, que tu es mon seigneur et mon maître ! Tu le sais, que ta force me domine et que j e suis ta serve ! Ah ! que n’ai-je avivé naguère les plaies du jongleur blessé ! Que n’ai-je laissé périr le tueur du monstre dans les herbes du marécage ! Que n’ai-je assené sur lui, quand il gisait dans le bain, le coup de l’épée déjà brandie ! Hélas ! je ne savais pas alors ce que je sais aujourd’hui !
— Iseut, que savez-vous donc aujourd’hui ? Qu’est-ce donc qui vous tourmente ?
— Ah ! tout ce que je sais me tourmente, et tout ce que je vois. Ce ciel me tourmente, et cette mer, et mon corps, et ma vie ! »
Elle posa son bras sur l’épaule de Tristan ; des larmes éteignirent le rayon de ses yeux, ses lèvres tremblèrent. Il répéta :
« Amie, qu’est-ce donc qui vous tourmente ? »
Elle répondit :
« L’amour de vous.»

« Les amants s’étreignirent ; dans leurs beaux corps frémissaient le désir et la vie. »

Il faudrait lire cent fois le chapitre intitulé « Le philtre » par J. Bédier, tellement l'amour fait signe à la fois vers le dérèglement et la fatalité, pour y dénouer tous les fils emmêlés de cette tragédie des amants maudits.

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